La démocratie du numérique reste à construire
Alter Numeris, ce sont des chercheurs et des penseurs qui réfléchissent les enjeux de la société numérique.
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La démocratie du numérique reste à construire

Julien Raone et Steve Tumson

L’été fût numérique. Dix chercheurs ont montré la diversité et l’étendue des enjeux posés par la société numérique. Le point de départ s’ancrait dans le constat d’un débat public peinant à décoller. Nul doute que leurs réflexions y ont contribué, chacune à leur manière. L’été aurait pu être plus long : si le débat public est condition nécessaire à la vitalité d’une société numérique, il est loin d’être suffisant pour une transition à la hauteur de ces enjeux. 

Politiser la transition numérique

Le numérique met nos vies en tension. Il est intuitif, efficient, pratique, informe nos décisions et offre de nouvelles possibilités à de multiples niveaux. Dans le même temps – et c’est là que s’introduit le débat, il peut entrer en tension avec d’autres préoccupations partagées telles que l’autonomie, le respect de la vie privée, la protection de l’environnement, la solidarité, l’égalité de traitement, la sécurité, la transmission des savoirs, ou le respect de l’humain face aux risques de déshumanisation, ou d’exploitation de tous les actes du quotidien à des fins marchandes. Ces tensions doivent-elles conduire à rejeter ces technologies en bloc? Bien sûr que non! Mais il serait tout aussi irresponsable de ne pas les regarder en face ; elles sont le signe que plusieurs conceptions du monde s’entrechoquent. 

Reconnaitre ces tensions est fondamental pour faire du numérique un objet politique: elles témoignent de la multiplicité des valeurs, des orientations et des finalités qui sous-tendent la construction d’une société numérique. Il faut donc, par la pensée critique, oser les mettre en lumière et, par le débat démocratique, adresser les questions qui en découlent: Quelle société numérique voulons-nous? À la poursuite de quelles finalités et au service de quel projet collectif? Avec quelles priorités et quelles valeurs? À quelles conditions et dans quelles limites? Poser ces questions, c’est politiser le numérique en favorisant son appropriation par les sociétés et en ouvrant plusieurs futurs possibles. Les éluder, c’est subir et s’adapter passivement à une transition numérique captée par les seules préoccupations économiques, confisquée par certains intérêts particuliers ou abandonnée à la seule raison technicienne. 

Créer la démocratie du numérique

Le numérique touche nombre d’activités et de pans du quotidien, de secteurs et de professions. Par conséquent, si les ingénieurs et les industriels occupent une place importante dans ce nouveau monde, les citoyens et leurs représentants, les associations professionnelles, les syndicats et les partis politiques, les chercheurs et la société civile doivent se sentir tout aussi légitimes à faire entendre leur voix. Pensons à l’organisation du travail, à l’aménagement des villes, aux soins de santé ou aux réseaux énergétiques: des thématiques impactées où la participation de tous les publics concernés est souhaitable de la conception et à l’évaluation des projets et des politiques d’innovation. Pour soutenir cette vision, deux conditions indispensables.

D’une part, les lieux et les mécanismes de la démocratie du numérique doivent se développer. L’exemple est porté aux Pays-Bas par l’Institut Rathenau qui, à la demande du Sénat, émet des propositions en ce sens (1). La rencontre entre technologie et société passe par les modes de délibération qui permettent à tous les groupes concernés de peser sur les décisions orientant le numérique et posant des enjeux sociétaux. Les acteurs s’instituent et les assemblées y deviennent sensibles, les méthodes existent et les expériences se développent; il faut poursuivre en ce sens à tous les niveaux. D’autre part, c’est via une conscience citoyenne critique et informée que ces lieux peuvent être pleinement investis; un citoyen au fait de comment le numérique influence son existence pour choisir les technologies auxquelles il souhaite avoir recours et participer aux débats façonnant les orientations de la société numérique. 

Au final, ces considérations dessinent, sur le fond et sur la forme, une voie pour une transition numérique choisie et porteuse de sens commun. Une voie qui permette de sortir des réflexes de fascination aveugle ou de peur irraisonnée qui entourent la thématique pour l’aborder avec responsabilité. Une voie qui réorganise les rapports entre l’État, les entreprises et les citoyens pour une société numérique en mesure de définir en permanence ses fins et ses moyens. Une voie sur laquelle il est grand temps de s’engager…